Chuck Kelton x Jean Dubuffet : Something to fall into

12 février – 26 avril 2025

L'exposition présentera des lithographies originales de Jean Dubuffet en dialogue avec des photographies expérimentales contemporaines de Chuck Kelton.

Réalisées dans des contextes historiques et culturels très différents, les lithographies vintage de Jean Dubuffet - peintre, sculpteur et fondateur du mouvement art brut - résonnent à bien des égards avec les œuvres photographiques expérimentales contemporaines de Chuck Kelton, maître imprimeur de chambre noire. Les deux corpus d’œuvres abordent les questions de processus, de matière, de surface ; le geste artistique contre le hasard. Renversant la pratique conventionnelle de leur médium, chaque artiste évoque la nature à travers l'abstraction. Et il existe une quête commune d’une forme d’art humble, d’une beauté modeste mais universelle. Le titre de l’exposition est une note manuscrite trouvée dans les cahiers préparatoires de Chuck Kelton, décrivant l’émotion qu’il cherche à créer avec ses œuvres. Il est intéressant de noter que, tout comme Dubuffet était un collectionneur passionné d'art brut, Chuck Kelton est également collectionneur - un musée américain a récemment installé sa collection personnelle de masques africains, acquise sur plusieurs décennies, aux côtés de ses propres chimigrammes expérimentaux.

 

Jean Dubuffet et la lithographie

Peintre et sculpteur, fondateur du mouvement art brut, Dubuffet est moins connu pour ses lithographies. Pourtant, sa gravure était prolifique : Dubuffet commence à réaliser des estampes au milieu des années 1940, atteignant une production totale de quelques 1500 œuvres dont beaucoup pour des livres illustrés (comme Matière et Mémoire avec l'écrivain Francis Ponge, 1944-45). Sa pratique expérimentale est considérée comme ayant révolutionné la lithographie : grattant les pierres lithographiques avec du papier de verre, il les frottait avec des chiffons et d'autres matériaux non conventionnels pour obtenir les effets variés qu'il souhaitait. L'approche peu orthodoxe de Dubuffet atteint son apogée avec la série Phénomènes de 1957 à 1962, comprenant 362 compositions réparties dans vingt-quatre albums, créant un univers alternatif qui semble capturer les forces en constante évolution de la nature. Transformant une technique de dessin établie en un acte d'improvisation, il recherchait les effets du hasard et de l'accident en imprimant de la terre, des écorces de fruits et des feuilles sur les surfaces d'impression, qu'il frottait avec des chiffons brûlants et sur lesquelles il renversait des produits chimiques.

Pour Dubuffet, avec la lithographie :

“On a la chance de bien se dépayser de bien se libérer des aimantations, des ornières et donc de se mettre en position de complète liberté et indépendance.” (Jean Dubuffet)

Ce qu’il aime dans cette forme d’expression “c’est la modestie, la beauté non reconnue... Il crée, sur la parfaite surface grainée, des accidents, des effets de matière dont la lithographie n’avait jusqu’alors jamais connu d’exemple et qui ouvre au noir uniforme de l’encre lithographique tout un registre de nuances inespérées. Les empreintes lui permettent d’obtenir des images étonnantes. Jean Dubuffet se veut, avec la série des Phénomènes, simple révélateur d’un monde ignoré et immédiat, celui dont nous prive la cécité du regard quotidien. Sur la pierre ou le zinc viennent alors prendre place fragments végétaux, poussières de l’atelier... que l’artiste va magnifier, leur faisant faire impression, jusqu’à perdre échelle et identité, jusqu’à découvrir dans ce qui était promu au rebut une cosmogonie éblouie.” Daniel Abadie (historien d'art, 1945-2023).

L'exposition à la Galerie Miranda proposera des lithographies originales signées de Jean Dubuffet de ses séries phares Matière et Mémoire et Phénomènes, issues de la collection baudoin lebon.

JEAN DUBUFFET Femme et son petit (Webel 28) Matière et Mémoire, 14/10/1944 Lithographie en noir 34 x 24 cm - Edition N° 5/10 & Sophisticated Lady, 30/10/1944 Lithographie en noir 26 x 18 cm. Edition N° 6/10

Chuck Kelton et la photographie expérimentale

Chuck Kelton réalise des photographies uniques, sans appareil photo, travaillant en plein jour en dehors de la chambre noire et passant des semaines, parfois des mois, à dessiner et à préparer chaque œuvre. Maître imprimeur argentique, Kelton est également un collectionneur passionné de photographies, de manuels pratiques et d'outils issus de l'histoire de la photographie.

Il explore les techniques et la chimie du XIXe siècle telles que le chlorure d'or et le sélénium, qu'il combine avec du blanchisseur et du révélateur pour obtenir une palette luxuriante de couleurs à partir de papiers argentiques traditionnels. Décrivant son approche comme « la calligraphie avec la chimie », Chuck Kelton combine les techniques du chimigramme et du photogramme : l'image d'un photogramme est le résultat de l'exposition du papier photographique à la lumière – écrire avec la lumière – tandis que l'image d'un chimigramme est le résultat de l'exposition du papier photographique au développeur et au réparateur – écrire avec la chimie. Kelton plie souvent le papier en deux - un acte transgressif en photographie - créant une rupture visuelle qui est comprise par le spectateur comme une ligne d'horizon créant une profondeur de champ dans la palette brumeuse de l'artiste.

Les œuvres de Chuck Kelton évoquent d’autres médiums comme l’aquarelle, la peinture à l’huile, le dessin – pour l’occasion, des lithographies. Kelton nous invite dans un monde romantique qui semble pourtant au bord de la calamité. Son imagerie est délicate et composée mais aussi le produit de l'improvisation et du hasard, résultant en des images très atmosphériques et intemporelles.

«Je recherche des images spectaculaires, quelque chose que je n’aie jamais vu auparavant, quelque
chose qui fait référence à la photographie et à une centaine d’autres choses à la fois historiques et
visuelles. Un moment où le chaos semble mettre à mal l’harmonie. Un moment où l'on se sent menacé
et apaisé, un dialogue visuel entre oppositions ; irrationnel et rationnel, de la croyance à l’incrédulité,
quelque chose à la fois connu et inconnu. (Cité dans une interview publiée dans LensCulture, 2016)

L'exposition présentera une nouvelle sélection de photogrammes et chimigrammes réalisés entre 201 et 2024.